« Fans de l’Aïkido des Pierrafeu & compagnie ? »

Aikidojournal Interview

C’est très étrange mais je crois l’Homme aussi borgne que les trois cyclopes de la mythologie grecque. Vous savez ? Ces fils d’Ouranos et de Gaïa (Argès, Stéropès et Brontes), qui forgèrent pour Zeus la Foudre divine. Ils étaient orgueilleux et sans loi, confiants dans les dieux immortels certes, tout en prétendant être plus forts qu’eux. En effet, les cyclopes ne craignaient pas les dieux, hors Zeus, c’est vrai, terrible roi de l’Olympe s’il en était.

Ainsi les Hommes, femmes et hommes indifféremment, ne donnent en effet de l’importance qu’à ce qui peut leur nuire le plus. Plus ils craignent quelque chose ou quelqu’un en effet (« leur Zeus » en quelque sorte), et plus ils lui donnent de l’importance, jusqu’à « l’aimer », le vénérer, le faire devenir totem ou même leur dieu. Ce doit être un réflexe préhistorique. On retrouve cela pareillement au sein de la plupart des engouements pour les maîtres d’Aïkido : cette vénération de la force pour la force !
Et avouez que c’est un fameux paradoxe en soi quand on parle d’Aïkido.

Il y a en effet une grande différence entre un mouvement qui marche, et un mouvement qui fait mal. Pourtant si un mouvement qui marche ne fait pas mal, il est rarement reconnu en Aïkido comme « juste ». Il passe en fait inaperçu pour la plupart des pratiquants, voire des enseignants (un comble ici encore). Par contre un mouvement qui ne marche pas mais qui fait mal, qui blesse ou qui terrorise le corps ou l’âme est, lui, le mouvement qui catégorise immédiatement et presque officiellement son acteur parmi les « bons », et son Aïkido comme « efficace », formidable, intéressant (!). Vous m’expliquerez …

Mais, non, me direz-vous : « Comment un mouvement qui ne marche pas pourrait-il terroriser ? ». Oh, ce n’est pas bien compliqué dans le cadre de l’Aïkido où, lors d’un entraînement, tout est réglé à l’avance comme sur un papier à musique : les rôles, les mouvements demandés, les vitesses, l’espace, etc. Il suffit pour cela de surprendre son partenaire, d’employer de la force supérieure à ses capacités de résilience, d’aller plus vite que lui, de le duper, de le déborder de tours et d’expérience, de travailler sur ses articulations comme un forgeron sur un fer rouge, de peser 50 kg de plus, d’être de mauvaise humeur permanente, de l’écraser de sa superbe, etc. Les tours sont nombreux et nombreux sont les Senseï qui en usent à loisir pour imposer leur vision des choses, ou même remettre un récalcitrant à sa place (tu parles Raoul, on t’a vu venir !).

Le plus étonnant, c’est que les pratiquants n’y voient que du feu. Et c’est cela qui me dépasse. En fait et sans doute la crainte, comme dans l’aventure humaine à travers les siècles jusqu’à nos jours, est un moteur puissant dans l’exercice aussi de l’Aïkido et son enseignement : tant que vous ne vous êtes pas fait écrabouiller par quelqu’un, fait triturer comme un boudin de pâte à modeler, ou planter la tête ou le dos dans le tatami (par un Senseï ou un autre pratiquant), j’ai l’impression que vous n’avez que peu de respect pour lui. N’est-ce pas vrai ? Ai-je tort dans le fond ? Hum… Ça frise le maladif, non ?

À moins que ce ne soit le contraire : les Senseï ou les autres pratiquants veulent imposer par la force un respect qu’ils n’ont pas a priori naturellement par leur technique (bref, ça ne marche pas si bien que ça en fait ?) ?
C’est-à-dire qu’il s’agirait alors d’une sorte de loi bijective entre êtres humains : le dominant est celui qui a raison et qui commande, et le dominé celui qui la ferme et obéit. Ils sont donc contents tous les deux. Je ne sais pas. Personnellement, trop rebelle dans l’âme sans doute, je ne vois jamais les choses de ces points de vue en tout cas.
Le plus drôle, ce sont les femmes ou les petits hommes chétifs… qui se précipitent chez les Senseï aux « bras comme mes cuisses » pour essayer d’y trouver un Aïkido qui marche pour eux. Et là, je suis dubitatif, sinon carrément plié en quatre. Si, si, c’est vrai.
À l’Aïkikaï, par exemple, c’est un Senseï autrefois réputé dans son genre « taureau de combat à corne » (ancien judoka, l’un des rares Uchi-deshi de ma jeunesse avec lequel j’eus des altercations disons un peu… comment dire : un peu « vives » ou musclées, toujours séparées au moment opportun par le bon Kishomaru Ueshiba) qui donna les cours… pour les femmes (cours exclusivement féminins).

Et là je me dis : « Mais non des dieux du Parthénon qu’est-ce qu’il va bien pouvoir leur apprendre, aux femmes, lui qui n’a au grand jamais eu leurs problèmes de gabarit, et possède une technique digne d’un rouleau compresseur à chaudière ? ». Et le plus drôle finalement, c’est que c’est lui qui, avec le temps et à ce contact, s’est adouci. Extraordinaire pouvoir de l’Aïkido, non ?

Amusant aussi de constater que des femmes suivent ce genre de cours des rouleaux compresseurs avec entrain. Pourquoi ? Qu’y trouvent-elles ? Je me pose souvent cette question. Et sinon l’attrait « mâle » qui peut en effet être une motivation viscérale difficile à combattre à la source, je me demande ce qui peut rendre ce genre de cours jouissif pour une femme.

Plusieurs réponses à cela : déjà, je pense qu’on peut dire que ces femmes imaginent pouvoir réaliser ce genre d’Aïkido. Si, sincèrement. J’en ai pour preuve le fait que si je m’entraîne une heure avec elles (moi 78 kg, 1,83 m, et elle, disons… 40 à 50 kg et 1,50 m au pire), je constate qu’elles essayent de mettre en application effectivement ce que ce genre de Senseï qu’elles suivent enseigne (je devine tout de suite le style !). Et évidemment ça ne marche qu’à condition que moi aussi j’y mette beaucoup du mien en tant que Uke. Bon, ce n’est ni gagné dans ce cas, ni la panacée.
Pire, en général elles me demandent de «faire attention », ou même me disent avec un petit sourire et en ayant forcé comme des mini-brutes sur leurs immobilisations (plus facile, ça !), ou sur mes pauvres poignets qui n’avaient rien demandé d’aussi sauvage : « Je suis blessée au coude, faut me le faire doucement à moi, hein…».
Et là, je vois bien qu’il y a un problème d’adéquation Aïki : elles mettent tant de force à faire des mouvements qui marchent peu, mais à l’inverse demandent avec autant de persuasion qu’on ne leur fasse pas la pareille, que le jeu en paraît énormément pipé.

Donc je reviens à mes «Senseï ses bras comme mes cuisses », généralement professionnels de l’Aïkido et modèles du monde libre (excusez-moi, mais faut bien rire un peu). Ils s’entraînent beaucoup, énormément même. Ils font pratiquement tous, outre de l’Aïkido à haute dose et avec énormément de «matériel humain à disposition », du jogging, de la musculation (de la fonte, beaucoup de fonte!), cultivent leur forme physique (abdos, gym, étirements…), etc. Or ils enseignent donc, à des gens lambda qui sortent de leur bureau le soir après une journée de réunions, d’ordinateur ou de démarches sur le terrain, ou à des filles ou à des mères, un Aïkido hyperdéveloppé sur l’axe physique. N’y a-t-il pas là déjà un curieux déséquilibre ? N’y a-t-il pas là un étrange échange de procédés ?
Oui mon frère, ma sœur : les dés sont pipés dès le départ !

Que faire ?

L’une des questions simples serait de se demander finalement : « Pourquoi les gens font de l’Aïkido ? ». Ou même : « Pourquoi les femmes font de l’Aïkido ? ». Et puis : « Pourquoi les enfants feraient de l’Aïkido ? ».

Ces deux questions, je me les pose souvent, surtout en voyant à quel point le petit chétif ou la petite chétive aux poignets fins comme des tiges de pissenlits va chercher chez le rouleau compresseur pour apprendre l’Aïkido. Deviendra-t-il ainsi, lui ou elle aussi, un jour, un magnifique rouleau compresseur cuivre et chrome ? Ha ! Ha ! Certainement pas. Et mon expérience sur plus de 40 ans de pratique m’a montré que s’il y a effectivement un progrès physiologique dans la chétivité, un équilibre poids/puissance à découvrir et à développer pour chacun d’entre nous, il m’est apparu impossible de trouver un homme ou une femme d’un mètre quarante à 20 ans qui finissait par faire un mètre quatre-vingt à 60 ans ! Et pour le poids, et à moins de déséquilibre grave, ça ne varie pas considérablement non plus (rarement plus de 30 %, mais au Japon tout le moins le plus souvent 10 à 20 %).
La technique du rouleau compresseur à chaudière rend-elle plus puissant ? Oui, un peu, c’est vrai. Combien de pourcentage ici encore ? 10 %, 20 %, 30 % ? Guère plus n’est-ce pas.

La technique du rouleau compresseur à chaudière rend-elle plus efficace ? On peut en douter, ne serait-ce que parce qu’elle marche justement parce que c’est un rouleau compresseur qui la met en branle. Demandez ainsi à un petit rouleau


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