De nouvelles élections vont arriver en fin d’année et J’ai aperçu sur Facebook sans tous les lire, plein de textes où la colère et la rancœur dominent la réflexion.
Pourquoi l’aïkido engendre sans arrêt ces paroles. Pourquoi l’aïkido après un début toujours enchanteur devient une source de rancœur.
Pourquoi lui fait un stage et pas moi, pourquoi lui a reçu ce grade et pas moi, pourquoi lui est partenaire de ce maitre et pas moi ?
Il y a plein de facteurs qui amènent les anciens à exprimer ces sentiments négatifs.
Au début de la pratique, nous sommes débutants et nos efforts physiques et mentaux ne se concentrent que sur la pratique. Comment fait-on ce mouvement ? Est-ce efficace ? Puis nous grandissons en prenant de l’assurance et de la technique qui se traduisent par l’obtention de grades. Et ces grades nous donnent des droits : liberté sur le tapis de plus ou moins bien pratiquer et un peu plus corriger l’autre ; la possibilité de diriger un stage, ce qui permet , à juste titre , de gagner un peu d’argent.
Et nous arrivons au point crucial de notre art : il n’y a pas de mémoire. Dans tous les autres sports il y a une mémoire de ce qui s’est passé au cours d’un match, au cours d’une compétition de sports individuels. Des années après on sait, en lisant des journaux ou en regardant des vidéos, ce qui s’est passé et comment se sont comportés les protagonistes. Mais nous, en aïkido, il n’y a jamais de mémoires de ce que l’on a fait. L’exemple où l’absence de mémoire est le plus important, ce sont les séjours au Japon. Tous ceux qui en reviennent ont la parole leste pour dire qu’ils se sont super bien entrainés et ils ont pratiqué avec tous les grands maîtres. Mais est- ce vraiment ce qui s’est déroulé ou, le pratiquant, lui seul a eu la sensation de faire le maximum.
Sur le tapis d’aïkido nous ne sommes pas divisés comme dans les autres activités sportives, à savoir : Le Sexe, l’âge, le poids , la taille et le niveau technique.
Nous sommes la seule activité sportive où, tous les extrêmes se rencontrent et doivent exécuter les mêmes chorégraphies.
Pour exprimer mes propos je vais diviser les pratiquants et enseignants en deux catégories
Amateur : celui qui ne vit pas uniquement avec les cotisations de ses élèves.
Professionnel : celui qui n’a comme revenus que le résultat de son enseignement.
J’ajoute aussi que pour moi, quel que soit le grade ou l’expérience, celui qui dispense le cours est pour moi un professionnel car il donne le meilleur de lui-même. Sur le tapis tous les pratiquants sont des professionnels car ils veulent tous très bien faire. Mais à ce concept s’ajoute ce postulat où le meilleur d’un pratiquant est parfois le minimum d’un autre pratiquant.
Quand j’ai décidé de consacrer ma vie à l’aïkido, ma relation avec tous les autres pratiquants non professionnels a changé. L’aïkido n’était plus un loisir mais un moyen de gagner ma vie. Moi, quand j’ai commencé à avoir l’envie de faire de l’enseignement de l’aïkido je ne pensais pas argent, je pensais : devenir le meilleur du monde. Et pour cela j’avais de idoles : Maîtres Japonais, M Christian Tissier et aussi quelques grands pratiquants qui eux ne dispensaient pas forcément des cours. Je n’ai jamais fait d’écoles de cadres comme élève. Je les faisais en regardant, en écoutant, en observant « mes idoles » durant les stages. Je venais du football où l’entraineur est considéré comme un père par les joueurs. On a envie de réussir pour lui. J’avais la même sensation pour « mes idoles »
Puis j’ai commencé à enseigner dans le dojo où j’ai débuté l’aïkido et déjà les soucis sont arrivés. J’ai enseigné dans ce dojo pendant dix ans en réglant la cotisation et quand j’ai demandé au professeur qui m’avait accueilli de m’aider financièrement il a refusé et m’a demandé de quitter ce bel endroit où ‘avais grandi.
Je venais d’entrer dans le conflit professionnel amateur. Je pense que beaucoup de professeurs « exploitent » leur élèves en leur demandant de les remplacer quand ils sont absents sans un juste retour pas forcément financier au début mais au moins une reconnaissance qui a de la valeur pour l’élève.
L’aïkido est basé sur le relationnel, on va pratiquer avec des personnes que l’on connait et avec qui on aime passer un bon moment, presque jamais on va faire un stage pour développer d’autres valeurs car il n’ y pas d’obligation de résultats.
Un autre problème important dans notre art est bien sûr la rémunération d’un stage et le tarif des cotisations de chaque association.
J’ai en mémoire une anecdote qui m’est arrivée au cours d’une assemblée générale et qui est significative de notre relation amateurs professionnels. Un des pratiquants gradés et enseignant et médecin de profession m’a invectivé en disant qu’il ne comprenait pas pourquoi l’ aïkido n’était gratuit et je lui ai répondu « que moi aussi je ne le comprenais pas pourquoi mais, je ne comprenais pas non plus, pourquoi quand j’allais chez le médecin je devais payer ». Et il m’a alors répondu que médecin était un vrai métier. Un autre problème inerrant à ces différences est la cotisation demandée par chaque dojo. Je suis professionnel et j’enseigne tous les jours. La cotisation que je demande est de 400 Euros par an, licence comprise. A peu de distance se trouve le dojo universitaire où enseignent des professeurs déjà rémunérés par la faculté. Ce dojo qui avant n’était ouvert qu’aux étudiants est aujourd’hui accessible à tous . La cotisation de ce dojo est de 50 Euros annuels . Donc les débutants qui viennent se renseigner ne restent pas chez moi mais vont là où c’est moins cher. Et le plus fort c’est que les professeurs de ce dojo universitaire sont venus se former chez moi pendant des années.
Ces problèmes malheureusement ne changeront jamais car aujourd’hui plus personne ne peut plus envisager de devenir professionnel car les revenus ne seront jamais suffisants.
Les clubs qui invitent un professeur pour dispenser un stage ne se rendent pas compte que ce que touche un professionnel est divisé par deux quand celui-ci dépose le fruit de son travail à la banque. En effet, il lui faut payer les charges patronales que les salariés eux ne payent pas.
Moi, par exemple quand je fais un stage hors de chez moi, jamais on ne m’a réglé le voyage et parfois l’hôtel.
Pour essayer de mettre de l’ordre dans notre relation il est impératif de créer des devoirs pour les pratiquants et enseignants.
Il est important que chaque grade donné soit reconnu par tous et non seulement par les proches.
Le dernier examen de la FFAAA pour l’obtention du cinquième dan a eu un résultat de réussite parfait : tous les examinés ont réussi.
Donc cet examen n’a aucune valeur. Il faut donner les grades pour que les élèves restent sur le tapis et montrer que la fédération dispense un bon enseignement
Pour chaque grade au-delà du quatrième dan, il faut, je pense, examiner le travail de l’enseignant fait au sein de son dojo et à niveau supérieur quelle est sa reconnaissance internationale.
Est-ce que l’on peut recevoir le grade de septième dan sans avoir formé des élèves cinquième ou sixième dan ?
Quels sont les critères pour l’obtention du titre de Shihan ?
On ne sait jamais qui et comment sont donnés ces récompenses. Tant que l’on aura pas mis de l’ordre dans ces récompenses grades ou titres, il y aura toujours doute et suspicion de corruption.
Il faut que l’aïkido devienne une activité professionnelle.
Il faut que dès le début de la pratique , les élèves sachent le parcours et les efforts à faire pour recevoir un grade.
A chaque examen, on entend les mêmes commentaires : « Le niveau est de plus en plus mauvais ». Mais tous les élèves réussissent. Une réflexion me vient aussitôt : « comment les élèves peuvent être aussi mauvais mais que les professeurs, eux, deviennent de plus en plus gradés.
Voilà tous ces problèmes que je voudrais voir discuter. Enlever le doute, faire en sorte que l’obtention d’un grade soit le résultat d’un parcours et non le cadeau donné par les fédérations (Hon Bu Dojo compris)
Faire en sorte que l’on donne envie et la possibilité à tous les jeunes de devenir des professeurs reconnus et respectés.
Le travail sera long, mais je sais qu’il y a des pratiquants très bons sur le tapis et dotés d’une remarquable intelligence. Donnons-leur la parole et le pouvoir de décision et peut-être l’aïkido deviendra un art où l’investissement donnera une qualité dont nous serons fiers.
Quand nous commençons la pratique, nous n’avons pas conscience de ce que représente un grade. Tous les débutants qui sont montés sur un tapis ont dit que seule la pratique les intéressait. Et cela est vrai car nous n’imaginons pas ce que cela représente, être gradé.
Un gradé c’est un grand frère, un pratiquant qui nous guide vers un but jamais atteint.
Comment savoir le grade d’un pratiquant en seulement le regardant bouger sur le tapis ? Il faut lui demander : « quel grade êtes-vous ?» pour le savoir.
La pratique ne permet pas de le savoir ; moi, je n’arrive jamais à estimer le bon grade.
Puis nous progressons et nous allons pratiquer dans un autre endroit et nous rencontrons des pratiquants inconnus et à ce moment on se rend compte des différences. Nous sommes dans un stage avec un professeur et des partenaires différents. À la pause, nous commençons à parler avec nos partenaires et la demande : « quel est ton grade ?» arrive, et selon la réponse nous sommes surpris en pensant : « tiens, je le croyais moins gradé » ou « tiens, nous faisons la même chose et nous n’avons pas le même grade ».
Puis nous continuons et un jour notre professeur vient nous voir pour nous proposer de passer ceinture noire. Je me rappelle de ce moment où je n’ai pas su quoi répondre tellement j’ai été fier. Être ceinture noire, quelle fierté, je suis devenu un homme et non plus un jeune. Pour moi c’était passer à l’âge adulte dans le monde des arts martiaux.
La progression se poursuit et nous arrivons au dernier examen technique qui sanctionne le quatrième dan.
Je me souviens de l’émotion de ce quatrième dan passé à Paris devant les grands professeurs de notre fédération, mais surtout d’avoir pu m’exprimer grâce à mes partenaires avec qui j’avais grandi pendant une quinzaine d’années. Je voudrais, ici, les nommer car ces deux grands pratiquants et amis sont aujourd’hui absents de nos tapis. Ils s’appellent Pascal Norbelly et Jean-Michel Mérit.
Nous avons passé tant de moments exceptionnels sur le tapis et surtout hors du tapis. À chaque fois que je monte sur le tapis, leur visage est présent dans mon cœur.
Une fois le quatrième dan reçu, les grades ne sont plus donnés par le résultat d’un examen. Et là, je ne sais pas comment ces grades sont donnés. Est-ce par l’investissement dans la pratique ou grâce à la relation que l’on peut avoir avec les hauts gradés ?
En aïkido il n’y a pas de compétitions donc pas de résultats. Et donc pas de mémoires écrites. Seul le pratiquant sait parfaitement s’il mérite ce grade reçu sans examen. Est-ce parce qu’il s’entraîne fort, forme des élèves qui deviennent forts ou reçoit-il ce grade parce qu’il reste près d’un haut gradé ? Ces titres reçus sans examen me posent toujours un problème. Le tapis, pas un seul pratiquant ne s’y trouve pour la même raison. Nous faisons une activité qui permet à tout le monde de dire qu’il s’entraîne de façon très forte.
Sur le tapis, il y a toutes sortes de professeurs et d’élèves. Nous avons des professeurs qui ont cinquante ans de pratique avec un vécu qui est connu de tous et nous avons le même professeur avec le même nombre d’années mais dont on ne connaît rien de son histoire. On ne connaît que son grade et il est impossible de savoir si son histoire lui confirme ce grade.
Il en est de même pour les élèves. Il y a ceux qui désirent pratiquer cet art comme un loisir et d’autres qui ont envie de s’entraîner pour devenir un aïkidoka reconnu.
Mais il arrive le moment où la pratique n’est plus aussi facile qu’avant. Le corps vieillissant, nous ne pouvons plus bouger avec autant de liberté. Rester Tori est assez facile, mais rester un Uke qui permet à Tori de s’exprimer... Il va arriver un jour où il n’y aura plus de jeunes pratiquants pour permettre à de vieux Tori de continuer à s’entraîner.
Je suis de plus en plus surpris de ces nominations à des grades très élevés soit 7ème et 8ème dan et aussi le titre de « Shihan ». Ce titre de Shihan, quelle est sa signification, je n’en ai pas la moindre idée. Pour quelle raison ce titre est décerné et par qui ?
Ce titre que j’ai reçu, je me demande toujours : pourquoi on me l’a donné et surtout qui a prononcé mon nom ? Est-ce le résultat d’une vie vouée à l’aïkido ?
Tous ces grades donnés avec facilité me font écrire que cela va détruire la beauté et l’engagement dans notre art. Il suffit d’attendre et de rester sur les tapis pour un jour le recevoir. On devrait définir un cursus que tous les pratiquants devraient connaître et qui préciserait les efforts et les actions à effectuer pour pouvoir, peut-être, être apte à recevoir ce grade.
On a l’impression que les grades ne sont donnés que par rapport à un temps passé en kimono.
Je prends l’exemple du football. Il y a plein de grands joueurs qui n’ont jamais été appelés en équipe de France. Il y a beaucoup de joueur de tennis qui jouent tous les jours mais qui ne foulent jamais les terrains de Roland Garros ou Wimbledon.
Nous, en aïkido quel que soit l’investissement sur le tapis, la récompense arrive et je pense que cela est malheureusement obligatoire pour faire rester le pratiquants sur le tapis. Et pour ceux dont c’est le métier, gradés ou pas gradés, eux, ils resteront sur le tapis pour vivre.
Ces grades élevés devraient être vraiment le résultat d’une pratique sérieuse, d’un investissement total pour développer notre art.
S’entraîner sans faiblir, former des élèves, qui pour moi doivent être capables de pratiquer avec tout le monde, ne pas créer son propre groupe mais surtout donner la liberté aux élèves. Accepter que certains ne viennent plus sur nos tapis. C’est très dur à encaisser quand on vit de l’enseignement, mais la liberté est la base de notre art. Ce sont les élèves qui nous font progresser. Même si on donne tout ce que l’on peut, on n’est pas sûr de donner tout ce que, eux, attendent de nous et de l’aïkido.
Pour que notre art perdure et devienne de plus en plus ouvert il faut, selon moi, que le grade, le titre de Maître soient le résultat d’une pratique intense, d’un investissement incroyable pour qu’il n’y ait pas de doute sur celui qui le porte et le reçoit.
J’ai un immense confiance dans la nouvelle génération qui saura trouver les solutions pour faire en sorte que tous soient fiers des anciens.