Lorsque je regarde d’autres disciplines corporelles telles que la danse, la gymnastique, la boxe ou tout autre type d’activité dont il émane une esthétique ou une efficacité, je songe parfois que nous passons beaucoup d’heures sur les tatamis pour un résultat assez faible en comparaison.
Certes, l’objet de l’aïkido n’est pas de faire des pirouettes ou d’entrer dans une quête à la performance. Certes, lorsque l’on compare les disciplines entre elles, on a tendance à oublier de prendre en compte les niveaux de pratique ; et l’on a tôt fait de comparer le professeur d’aïkido local qui pratique depuis une dizaine d’années à un boxeur professionnel qui s’entraîne 6h par jour depuis 20 ans …
Pour autant, il me semble que nos efforts sont souvent mal dirigés et que l’on passe ainsi des années à obtenir des progrès qui pourraient être faits plus rapidement.
Il me semble que cela tient essentiellement à un fait : nous n’acceptons pas d’être mauvais.
Pour devenir meilleur, il faut tout d’abord être capable de regarder en face notre niveau, afin de déterminer notre point de départ. Ensuite il s’agira de déterminer le niveau que l’on souhaite atteindre. Enfin, on établira – dans les grandes lignes – les étapes à franchir.
Là où le bât blesse, c’est que cette triple démarche est entravée à différents niveaux par la structure même de notre discipline.
Se regarder en face
Il s’agit probablement de l’étape la plus difficile car elle est généralement douloureuse (!). Afin d’être « aidé » dans cette démarche, il faut que le cadre posé par le professeur soit bienveillant. Cela n’est pas toujours le cas car l’univers martial porte en lui les germes de l’austérité et de la gravité.
D’autre part, l’absence de compétition, si elle comporte de nombreux avantages, ne nous met pas en face de nous même, et l’on peut pratiquer des années en « s’imaginant » un niveau, déconnecté de toute réalité.
Déterminer le niveau à atteindre
Cette étape est souvent entravée par le professeur lui-même, consciemment ou non. En effet, celui-ci représente potentiellement le plus haut niveau à atteindre pour l’élève. Et si l’enseignant ne corrige pas cette image, par exemple en invitant ses élèves à aller voir des experts plus avancés, il limite ses étudiants dans leur progression.
Par ailleurs, le fondateur de la discipline possède une aura de maître invincible dont il est difficile de se détacher. Son image devrait être inspirante, stimulante, mais elle est parfois écrasante : « on n’atteindra jamais le niveau de Osenseï »...
Etablir les étapes à
franchir
Ce dernier point est difficile à mettre en place si les deux points précédents n’ont pas été réalisés correctement. C’est pourtant ici que le professeur peut énormément aider ses élèves en créant des étapes à leur mesure. Trop souvent l’enseignant veut briller pour défendre son statut et propose un travail inaccessible. Détailler un mouvement, puis le globaliser à nouveau pour l’intégrer est une démarche pédagogique bien connue, que l’on a tendance à oublier. Elle mériterait certainement d’être réévaluée à sa juste valeur. Par exemple en proposant des situations de « résolution de problème » plutôt que « copiez ce que je fais ».
Procéder étape par étape, en déterminant clairement ses objectifs, en regardant en face son propre niveau est le plus sûr moyen de continuer à progresser.