Nous avons laissé Saïgo Takamori au sommet de sa gloire: à savoir au lendemain de la victoire des forces impériales sur celles du régime Tokugawa en 1868. Les quelque huit années qui lui restaient à vivre sont celles qui ont le plus compté dans la constitution du ”mythe Saïgo”, dans la construction de l’image du « dernier samouraï ». Il n’est donc pas surprenant que ce soient sur ces années là (1869-1877) que le plus de balivernes aient été proférées.
Nous avons déjà traité de la révolte de Satsuma dans notre critique du film ”Le Dernier Samouraï” (Editorial d’AïkidoJournal n° 12 de décembre 2004). Sans aller jusqu’à ces excès holywoodiens, le récit habituel fait de Saïgo un défenseur de sa caste et de la tradition nippone contre l’occidentalisation du Japon, un héro tragique écrasé tout autant par la marche du progrès que par un pouvoir corrompu.
Un exemple des approximations qui passent pour de l’histoire nous est livré par cet extrait d’un cours donné en 2001 à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales, ”Langues’O”):
”En 1873, l’oligarque Saigô Takamori démissionne à la suite d’un différend qui l’oppose aux membres du conseil. Il souhaite lancer une attaque contre la Corée, mais les oligarques refusent. Il rentre dans son fief, se rebelle en 1874 et lève une armée de 40 000 samurai qui va tenir tête à la nouvelle armée de conscrits pendant trois ans. Les historiens appellent cet épisode seinan sensô. Les conscrits armés de fusils écrasent les samurai (sic). Saigô Takamori se fait seppuku dans son fief, selon des principes anciens. Un geste qui lui vaudra la reconnaissance posthume de l’empereur Meiji contre lequel il s’était révolté.”
Pratiquement rien de cela ne correspond à la réalité historique : ranger Saïgo parmi les oligarques est pour le moins une simplification facile. Le différend au sujet de la Corée n’a pas opposé Saïgo d’un côté aux oligarques, mais a partagé le gouvernement : Iwakura, Ito et Okubo d’une part qui, après leur voyage en Occident, avaient pu se rendre compte que la Japon n’était pas encore prêt à se lancer dans la constitution d’un empire colonial, et de l’autre des personnalités telles que Soyejima, le ministre des Affaires étrangère et Eto Shimpei (tous deux originaires de Hizen) ainsi qu’Itagaki et Goto Shojiro (de Tosa) et bien sûr Saïgo qui tous démissionnèrent du Conseil d’Etat. En 1874 il n’y avait plus de fiefs (si par là l’auteur entend les domaines des daimyos). La révolte éclata fin janvier 1877 et Saïgo fut tué en septembre de la même année : elle ne dura donc pas trois ans mais neuf mois. Par ailleurs, grièvement blessé, il est quasiment certain qu’il n’a pu se donner la mort lui-même. Les troupes de Saïgo comptaient non pas 40 000 hommes mais une douzaine de mille et les deux armées étaient dotées, quoique inégalement, d’un armement de type occidental (voir à ce sujet notre éditorial mentionné plus haut). Parmi les ”conscrits” de l’armée impériale il y avait aussi un nombre non négligeable de samouraïs, dont ceux du clan d’Aïzu, qui avaient des comptes à régler avec ceux de Satsuma. Enfin, la réhabilitation de Saïgo n’a rien à voir avec sa mort mais avec le besoin du pouvoir impérial de doter le Japon de symboles d’unité nationale en appui à la politique d’expansion coloniale dans laquelle il s’engageait alors.
Si les étudiants de Langues’O sont nourris de telles fables, on ne doit pas s’étonner de trouver sur le site de l’Aikibudo (FFAAA) un résumé de l’histoire du Japon où l’on peut lire:
”1877 : Révolte de Satsuma. Derniers soubresauts des partisans de l’ancien système. Des troupes loyalistes à l’ancien Shogun se révoltent, conduites par un général du nom de Saigo Takamori. Elles sont écrasées par l’armée à Kumamoto et à Kagoshima (Ile de Kyushu).”
Les réformes Meiji
Ce n’est pas ici le lieu de suivre tous les méandres de la politique japonaise des premières années de l’ère Meiji. En gros, on peut dire que, dans un premier temps, il aurait pu sembler que la Cour impériale avait la haute main sur un gouvernement dirigé par le …