Omote et ura


André Cognard à Bourg Argental 2011

Je me souviens d’une époque durant laquelle ce qui m’était enseigné à propos de omote et ura se résumait à :
omote : j’avance en direction de l’attaque et la repousse par une technique vers son origine. Tout mon corps va vers l’avant.
ura : je pivote pour laisser passer l’attaque et je la conduis en aval par rapport à son origine. Tout mon corps va dans la rotation.

On employait alors positif et négatif pour respectivement omote et ura.
Quand j’ai rencontré Kobayashi sensei, je fus surpris par le fait qu’il attachait peu d’importance dans ses explications et ses démonstrations à ces notions qui avaient constitué les repères spatiaux importants de mes premiers apprentissages.
Ces cours n’étaient pas du tout construits sur un modèle séparant omote et ura, bien au contraire.

S’il montrait une technique, irimi, kokyu, ou osae waza, il faisait à la suite omote et ura, les exécutait de manière aléatoire, et qui plus est, il faisait parfois quelque chose qui s’apparentait aux deux principes en même temps.
Il y avait trois cas pour lesquels il séparait rigoureusement omote et ura. Le premier était l’apprentissage du kihon de taijutsu en suwari waza, le deuxième était l’apprentissage des kihon d’aikiken. En ce qui concerne le troisième cas, il imposait de faire rigoureusement l’immobilisation en omote sur les techniques d’ikkyo à gokyo exécutées en omote, et les immobilisations en ura quand ces mouvements étaient exécutés en ura.
Pour certains lecteurs, même pratiquants, ce que je viens d’écrire n’est probablement pas clair.
Nous séparons dans la représentation que nous en avons le mouvement qui consiste à déséquilibrer l’attaquant et à le conduire au sol de celui qui consiste à l’immobiliser en appliquant le kime jusqu’à obtenir sa reddition. Cela tient peut être au fait que Kobayashi sensei enseignait plusieurs techniques d’immobilisation proprement dite pour les principes de ikkyo à gokyo. Mais celles qui s’appliquaient à la suite d’un mouvement omote n’étaient pas celles qui s’appliquaient après un mouvement en ura. J’ajoute qu’il montrait, outre les principes de ikkyo à gokyo, sept autres mouvements qu’il désignait par les termes lokyo, nanakyo, hakyo etc… soit douze au total.
Pour les sept derniers, il était moins rigoureux sur cette séparation, et pour tout dire, je ne l’ai jamais vu montrer et expliquer clairement : « ceci est nanakyo omote ou ura ». Il faisait et c’est tout. Son nanakyo me parait être ura de fait car je ne vois pas comment l’appliquer en omote, et je ne lui connais que deux immobilisations associées. Lokyo pourrait être considéré comme une variante de gokyo et on lui associait comme immobilisation celle du nikyo omote. Hakyo est une sorte de nikyo omote exécuté en utilisant un sens de rotation du corps contraire à celui dudit nikyo omote, contraignant l’uke à reculer du début à la fin. J’en reste là avec ces descriptions qui ne constituent pas mon objectif ici. Je crois que sa passion pour les techniques combinées, bien connue en ce qui concerne les irimi de tous types, l’avait conduit à l’application des deux principes en même temps.
Il le soulignait en particulier dans son désormais fameux nikyo-irimi. Quand les pieds reculent, exécutant une aspiration donc ura, les mains avancent vers l’attaquant en omote, puis tout s’inverse, les pieds avançant pour pénétrer dans la sphère du partenaire alors que les bras ont pris le relais de l’aspiration en s’éloignant d’uke donc ura. Ce principe d’inverser les sens d’action des pieds et des mains se produit plusieurs fois au cours de l’exécution de la technique, le point de départ de l’action à chaque changement de sens se déplaçant dans le corps. Pour pouvoir expliquer cela, je dois séparer l’examen du travail des bras de celui des pieds, puis de celui des hanches. Je prends le cas le plus simple, celui d’une saisie en aihanmi katate dori, objectif nikyo-irimi omote. Commençons par les bras : mon bras monte chercher le contact (omote), dans le temps du contact, je commence le meguri par une rotation interne du poignet associée à un déplacement latéral de celui-ci vers l’intérieur (rappel : intérieur : le côté de la face de l’attaquant, celui-ci étant bien sûr de profil, extérieur : le côté du dos de ce dernier). Pendant ce temps le coude fait un mouvement de rotation en sens opposé à celui du poignet mais se déplace latéralement comme celui-ci, c’est à dire vers l’intérieur. Le coude se rapproche ensuite du buste alors que le meguri du poignet s’inverse avec une légère élévation (omote). Les deux font un déplacement latéral vers l’extérieur, le coude s’abaissant légèrement (ura). Ensuite, le poignet pivote sur l’axe vertical que constitue alors l’avant-bras augmentant l’aspiration (ura) pendant que le coude avance (omote), amenant ainsi l’attaquant à fléchir le bras qui saisit. Le poignet fait alors une rotation en sens inverse de la précédente (ura) pendant que le coude s’élève en reculant (ura). Chute.
Voyons à présent les pieds : au moment du contact, les pieds reculent (ura) créant une tension entre les centres (ki no musubi). Puis le pied arrière glisse légèrement vers l’intérieur suivi immédiatement par le pied avant qui s’immobilise puis avance vers le centre de l’uke. Cela correspond au mouvement de rotation du coude vers l’intérieur. Le pied arrière fait alors un deuxième mouvement de recul (ura) créant une aspiration pendant l’avancée du pied avant (omote), temps de l’élévation du poignet. Puis le pied arrière avance (omote), temps de l’élévation du coude, et enfin les deux pieds se rapprochent l’un de l’autre en avançant (omote), temps du recul final du coude (ura). Chute.
À présent le travail des hanches. Le premier déplacement des pieds est provoqué par une rotation externe de la hanche arrière. Le glissement du pied arrière vers l’intérieur est provoqué par la rotation interne de la hanche avant qui prolonge l’aspiration déclenchée par la hanche arrière. La hanche avant poursuit son action par un léger recul en rotation externe (ura), ce qui libère le mouvement de la hanche arrière vers l’avant. L’aspiration est maintenue et elle est ressentie par l’uke alors que la hanche arrière reste imperceptible et permet la pénétration dans la sphère de celui-ci. Les deux hanches s’équilibrent alors dans un mouvement unique de rotation interne. Chute.
Les mouvements que je décris sont pour les déplacements de pieds de l’ordre de quelques centimètres, cinq à sept, pour les mouvements latéraux des bras de deux à trois centimètres, pour leurs mouvements verticaux de deux à trois centimètres, pour les hanches de trois à cinq. Le fait que le point de départ des actions se déplace dans le corps rend l’opposition impossible. Il crée une désorientation de l’uke qui ne sait pas où appliquer sa force. La technique qui ne rencontre pas d’opposition peut donc s’exécuter sans utiliser la force physique.
La complexité de la technique ainsi construite est telle que l’on ne peut la représenter dans la conscience


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