“ Comment définis-tu le KI ?”

Série V

Aikidojournal Interview

Ha ! Ha ! Horst, tu voudrais me faire entrer dans la trappe classique du labyrinthe Aïkido ? Mais, Horst, c’est indirectement toi qui risques d’y tomber, ou tes lecteurs. Car je ne sais pas en fait si nos amis vont bien comprendre ce que je vais exposer à leur célérité d’analyse. En effet, pour moi et techniquement parlant, c’est assez clair, mais… expliquer ça… (sourire) ! Tu insistes ? Alors, oui, allons-y : revisitons nos modèles puisque tel est ton bon vœu.
Tu poses ici cette question dans la droite ligne de ce que j’osais dire dans le numéro précédent d’Aïkido-Journal je pense. Bien. Je l’avais moi-même tenté dans mon livre “Mon mémento d’Aïkido” (page 83 à 102) et cela me semblait encore trop peu… Un article donc y suffirait-il ? Limitons d’abord, si tu me le permets, le mot “KI” à son contexte de l’aï-KI-do, et sans revenir sur l’étymologie du mot qui vient comme tu le sais directement de l’image de : “La vapeur qui se dégage du riz qu’on bat sans relâche”. Car, et pour revenir à ce que je disais dans ma précédente intervention, il y a en gros deux façons de voir les choses : convoiter les sommets, ou chercher vers les profondeurs. Comme pour l’apprentissage de l’aï-KI-do (oh combien !) cela peut nous aider ici encore. En effet si l’on pense à cette image de la profondeur on peut comprendre que chercher le KI consiste non à rajouter comme dans le cas de celui qui brigue des sommets, mais à… soustraire, comme en plongée ou en spéléologie : à se soustraire de la surface des apparences en quelque sorte.
On sera donc à moins 5 mètres, moins 12 m, moins 25 m… moins 40 m, puis à moins 60 m… moins 100 m enfin, moins 110 m, peut-être davantage un peu plus tard, quand on le pourra… jusqu’au plus profond possible : “Moins 10 000 mètres et quelques…”, dira-t-on pour des gens comme Ô Senseï propulsé in situ dans la “bulle” de son batyscaphe cosmico-abyssal. Sachant que chaque niveau de profondeur en mer par exemple a ses propres moyens d’atteintes (techniques spécifiques et astuce en conditions extrêmes, comme : apnée, tuba ou bouteilles, paliers, matériel, gueuse, véhicule (bathyscaphe, soucoupe… ?), bonbonnes, filière, gaz utilisés (oxygène, azote…), etc.).
Or qu’est-ce qui est intéressant dans cette image des profondeurs ? Eh bien on voit qu’il s’agit de soustractions, toujours de soustractions et rarement d’additions. Et on s’aperçoit que plus on ira profond, plus il faudra “soustraire” des problèmes spécifiques et se concentrer sur l’élimination de l’essentiel des problèmes techniques ou physiologiques posés… et eux seulement. Et donc il faudra s’alléger des contraintes et des dangers : retirer au maximum tout le reste qui n’est pas indispensable. En gros : on ne peut pas faire le grand bleu assis sur la selle mexicaine de son mustang, avec des bottes de cow-boy aux pieds, des pistolets à la ceinture, et avec des bagouzes Navaho en argent et turquoises aux doigts. Or quand on enlève tout superflu à une aventure spécifique, la technique devient à la fois très simple donc, presque minimaliste, mais à l’inverse extrêmement, extrêmement technique (exactement comme en plongée).
J’avais exprimé cette idée dans ma théorie de la « lutte contre les trois “C” : Confusion, Complication, Condensation », qu’il faudrait toujours et au mieux éviter dans notre réflexion. On fait le contraire en aïkido depuis des années en France aux niveaux fédéraux ou gouvernementaux, et c’est dommage puisqu’on se dirige alors vers un aïkido de cow-boy : un aïkido de surface, une impossibilité de plonger dans les profondeurs de l’aïkido lui-même. Ce qui me fait dire ici et entre parenthèses que l’enseignement de l’aï-KI-do se fourvoie lorsqu’il enseigne du résultat au lieu d’enseigner les procédés par lesquels chacun peut découvrir l’utilisation personnelle et particulière de son propre KI et de celui d’autrui, au surcroît les constructions possibles de ces deux-là ensemble. Mais ça, finalement, peut-être que c’est un autre problème, un problème de pouvoirs et de gouvernance…
Je dirais qu’une des approches du KI en Aïkido, avant de le définir, consiste un peu à effectuer la même opération de soustractions. Parce que si vous vous dites :
« Voilà, je sais faire de l’aïkido, je connais bien les mouvements ceci et cela, cette “gymnastique basique Aïkido du répertoire ronron”, certes, mais voilà : que puis-je enlever désormais à mes mouvements pour trouver leur essence véritable ; leur “indispensable nécessité d’action” envers ce qui vient me perturber à ce point de danger (hors donc toute complicité, ce qui est très différent des complaisances d’apprentissage) ? ».
Là commence un nouveau périple. Car c’est d’un nouveau type …

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