Olivier, pourquoi vis-tu au Japon.

Série I

Olivier Gaurin
Olivier Gaurin

Je dois dire que la motivation fondamentale qui m’a fait vivre jusqu’à présent au Japon, c’est l’étude et la pratique de l’aïki – et je parle bien “d’aïki” et non pas seulement “d’aïkido”. Il y a aussi beaucoup d’autres raisons, certes : familiales, culturelles, etc. Mais l’aïki fut toujours et reste “ma” motivation principale, mon “trait de vie”.
Pourtant, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, tout fut remis en question, je dois le dire. Parce que passé les premières inquiétudes de contaminations radioactives soudaines auxquelles personne ici n’a pu échapper lorsque les centrales nucléaires ont sauté, on s’est vite aperçu que Tokyo, peu à peu, était et est en train de s’irradier lentement par “vagues”, par “spots”, sous l’influence des vents, des eaux de ruissellement, de la nourriture, de l’eau qu’on boit, et aussi des propagations humaines.
Fukushima représente donc en moi la rupture entre le Japon traditionnel de l’ibis et de la tortue, et un Japon corrompu par le miroir aux alouettes technologiques et monstrueuses de l’Occident. Je pense donc qu’il y a un “avant” Fukushima et qu’il y a un “après” Fukushima. Or, qu’est-ce qui est si particulier avec l’aïki pour s’en faire une raison de rester malgré tout et pour le moment au Japon ?
Eh bien, de ce que j’ai fini par en savoir jusqu’à aujourd’hui, l’aïki est un ensemble très cohérent de trouvailles martiales, absolument génial et unique au monde. Cependant, et sans honte ici, je dois poser comme un fait que je ne suis pas encore parvenu au plus profond de tous les détails de cet ensemble, et je crois que c’est cette quête qui me fait rester au Japon. Comme un boxeur qui n’a pas encore combattu en toutes catégories à Las Vegas, ou comme un ténor qui n’a pas encore chanté Verdi sur la scène du théâtre de La Fenice de Venise, je crois que quelqu’un comme moi qui cherche inlassablement et depuis près de 40 ans la vérité sur ce que faisait Morihei Ueshiba se doit d’aller au bout de ses “rêves du juste de l’aïki”, et pas seulement en rêve justement. Alors comme un vigneron farouche je continue d’apprendre “sur le terrain”, “dans le terrain” et “par le terrain” comment élaborer le vin idéal de ce terrain-là de l’aïki.
Mais… “Pourquoi apprendre encore ?”, me demande-t-on alors, me demande même ma femme japonaise. Et je réponds souvent par cette phrase de Charlie Chaplin qui disait : “Il faut apprendre non pas pour l’amour de la connaissance, mais pour se défendre contre le mépris dans lequel le monde tient les ignorants”. Car à mon sens aussi : contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas l’ignorance qu’il faut combattre – l’ignorance, elle, ne demande qu’à savoir en général - mais ce qu’il faut combattre, c’est tout ce qui tente, pour son propre avantage, de faire de cette ignorance une normalité, norme qui n’est dans la réalité qu’une norme sociale… d’assujettissement. Et ceci est valable aussi – oh combien ! – en aïkido. Vivre donc au Japon, chercher et encore les profondeurs de l’aïki, plus loin, toujours plus loin, c’est donc pour moi une façon de combattre ces fausses normalités qu’on nous distille si mielleusement dans l’unique but de mieux exploiter notre… ignorance.

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