Le point de vue d'editions 18FR d'AJ

… qu'est-ce que le meguri et d'autre part est-ce que c'est une spé­ci­ficité de Kobayashi Hirokazu Sensei


André Cognard à Bourg Argental.

Des élèves de Kobayashi Sensei que nous avons interviewés insistent beaucoup sur un aspect de son aïkido : le meguri. Ils soutiennent que cela constitue une des spécificités de l'enseignement de Kobayashi Sensei, que ni les élèves plus anciens de O Sensei, comme Saito, ni ceux de Tohei et Kosshimaru, ne posséderaient.

    Qu'est-ce exactement que meguri, et pouvez-vous nous expliquer du point de vue technique en quoi, sur ce point précis, l'aïkido transmis par Kobayashi Sensei se différencie de celui d'autres Shihan, Yamaguchi Sensei, Tada Sensei ou Tamura Sensei par exemple ?


    Tout d'abord, la question est en deux parties bien distinctes, d'une part, qu'est-ce que le meguri et d'autre part est-ce que c'est une spé­ci­ficité de Kobayashi Hirokazu Sensei et est-ce que cela constitue une particularité technique que d'autres maîtres ne transmettraient pas.

    Je vais d'abord répondre à la première question. Meguri vient du verbe meguru: tourner, circuler, la racine jun produit par exemple junkai: ronde, patrouille ; junsa: agent de police ; junrei: pèlerinage. On peut dire simplement que meguri indique un mouvement circulaire. Kobayashi Sensei faisait effective­ment référence à cette idée de meguri pour indiquer avant tout la circulation de l'énergie. Il employait le mot également pour parler de la circulation du sang et des idées. Pour compren­dre quelle importance cela peut avoir dans son aïkido, il faut d'abord préciser qu'il décrivait le mouvement qu'exécute le poignet, l'avant-bras et le bras pour créer un nikyo irimi comme un archétype du geste d'aïkido. Il insistait sur le fait qu'avant le contact physique le poignet de shite devait aller de la position où l'on subit nikyo ura à celle où l'on subit kote gaeshi. C'est le fait que ce mouvement que shite imprimait à son propre bras était le garant de la bonne exécution de la technique et du bon contrôle d'uke. Il soulignait là un principe selon lequel l'aïkido était basé sur une réciprocité dont le fondement était que l'on doit donner avant de recevoir. Et former sur son propre corps une technique d'aïkido comme si on la subissait était un préalable nécessaire à toute action. Avec cette conception, l'on doit bien sûr travailler avec les poignets fléchis et ne jamais figer la main dans un espace, que ce soit dans l'espace interactionnel ou dans l'espace péricorporel. Il insistait sur le fait que l'on ne doit jamais se laisser saisir ou frapper là où l'on se trouve au moment où commence l'attaque et que la distance entre la main et le centre doit varier pendant le déplacement initial. A cela s'ajoute le fait que la forme, c'est-à-dire la posture de la main et même de l'ensemble du corps, doit changer entre le début de l'attaque et le contact entre les protagonistes. Si le meguri est exécuté correctement dans un cadre de référence correct, il a pour effet que l'attaquant se trouve en déséquilibre dès qu'il touche le corps de l'attaqué. Exécuté correctement signifie conforme à deux lois, l'une inhérente à l'anatomie articulaire et musculaire du corps humain, l'autre propre au mouvement universel. Un cadre de référence correct signifie que shite est conscient des seuils qui existent entre l'espace général, l'espace interactionnel, les espaces péricorporels et les espaces internes aux corps des protagonistes. Il est bien évident que cette conscience des seuils permet de détecter les risques de mise en opposition et inversement d'assurer le partage d'une communauté spatiale constituée des parties homologues propres à chacun. Par exemple, l'interpénétration des espaces péricorporels constitue une communauté spatiale pleine d'éléments symboliques, psychologiques, émotionnels et nécessite un certain nombre de concessions physiques mais aussi dans la représentation des identités. Ainsi, le meguri a pour fonction d'établir un ki no musubi qui relie les esprits en traversant les différents espaces, impliquant ainsi les individus dans tous les niveaux de leur conscience. Le meguri en accélérant l'interaction à partir du contact met en évidence les inerties dues aux inconscients que les protagonistes ne  peuvent équilibrer ni corporellement ni posturalement ni psychique­ment. Il fait émerger une frontière interne chez chacun qui démontre l'existence d'un clivage entre conscient et inconscient. Bien évidem­ment, la conscience peut s'impliquer du point de vue éthique et tendre vers une gestuelle harmonieuse parce que respectueuse de l'alté­rité. Inversement, l'inconscient est par défini­tion a-éthique, mais le fait que le meguri mette en évidence que le seuil sur lequel il existe un risque de retour à la violence n'est pas entre les individus mais propre et interne à chaque conscience individuelle autorise la maîtrise de la violence, puisque il constitue un repère symbolique permettant l'intégration de cette division.

    Nous devons revenir à la question de la conformité du meguri et par conséquent du geste en général avec des lois de la dynamique universelle et de leur existence dans les struc­tures anatomiques. La Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil, le système solaire tourne autour de la galaxie qui tourne elle-même autour d'un système spiralé. La question posée à O Sensei sur la manière dont l'aïkido se réfère au mouvement universel est assez connue pour que je n'y revienne pas. Il suffit d'observer les mouvements de l'eau, vagues, courants, siphons, pour comprendre que la circularité est la règle. La météorologie est tout aussi éloquente, la circulation des vents dans un thalweg ou une dorsale se conforme au principe du meguri et plus les lignes isobares sont serrées plus les vents sont forts et inversement, sans compter l'inversion de sens des dits vents en fonction de ce que l'on est dans un système anticyclonique ou dépressionnaire. Dans la pratique, plus le diamètre des cercles constituant la spirale d'aspiration de la technique est réduit plus l'accélération est grande. Par ailleurs, une étude un peu sérieuse des chaînes musculaires nous montre que celles-ci sont fondées sur un principe antagoniste. Les chaînes antéro et postéro médianes s'opposent pour maintenir la rectitude. La chaîne postéro-antérieure antéro-postérieure (PAAP) participe à cet équilibre mais aussi à l'équilibre psychosomatique en général. Toutes ces chaînes musculaires expriment des tensions qui dépassent de loin le cadre de l'équilibration de la posture et même de la dynamique du corps. Elles traduisent des tensions psychiques, en particulier dans les couches profondes. Leurs équilibres conditionnent la dynamique énergé­tique et psychique de l'individu. Pour tendre vers un idéal d'équilibre postural et d'équilibre psychosomatique, celui qui nous est fréquem­ment décrit comme la sérénité liée à l'acquisi­tion de la centralité et de l'unité corps esprit, il est nécessaire de diminuer les forces conflic­tuelles, c'est-à-dire d'abaisser le niveau de tension des chaînes médianes et de la chaîne PAAP. Pour ce faire, il n'existe qu'un moyen qui est de développer les chaînes latérales, en particulier les chaînes postéro et antéro latérales. Or, celles-ci sont spiralées et se développent par l'exécution de mouvements spiralés. Ceci me permet d'interpréter le mouvement de référence pour Kobayashi Sensei, le kote gaeshi nikyo, comme l'archétype du mouvement d'équilibration générale du corps mais aussi de la conscience. Il se réjouissait chaque fois qu'il démontrait son nikyo irimi en insistant sur la nécessité de partir d'une pronation complète pour aller au maximum de la supination. Il voyait là un moyen de faire évoluer notre conscience car le meguri en question mettait en évidence des oppositions entre les techniques. Un ikyo est l'inverse d'un irimi omote, comme un kote gaeshi est l'inverse d'un nikyo, comme un shiho nage est l'inverse d'un nikyo ura. Cependant, les relations ne s'arrêtent pas là puisque pour former une quelconque technique sur uke je dois former sur moi soit la même soit son opposé. Ainsi nous apparaît l'importance et la nécessité de travailler kaeshi waza qui était une partie essentielle de son enseignement, car cette pratique met en évidence les multiples corrélations entre les techniques et fait de ces dernières un système permettant un repérage symbolique de l'espace temps très précis. La trame qui apparaît a une portée systémique et sémiologique primordiale. Elle évite que shite se retrouve dans une spatiotemporalité indéfinie, le risque étant alors pour lui de ne plus se percevoir. Evidemment cette perte de la perception de soi est la cause unique, fondamentale, essentielle de toutes les mises en opposition. Comme le non qui nous est opposé crée des limites à notre espace de représentation, l'opposition physique met des limites à nos espaces corporels et gestuels. Toute violence trouve sa source dans une problématique identitaire. Une identité qui n'est pas perçue n'existe pas. Chaque fois qu'une situation nous met en risque de confusion sensorielle ou de perte esthésique, le réfl …

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