Takeji Tomita Sensei, 1 partie 2009-N° 32FR

… cela ne veut pas dire qu’ils en ont le contrôle. Ni qu’ils savent comment gérer le travail « corps / cerveau »


Tomita Senseï pendant le cours à Montpellier 2009.

Dans un précédent numéro (Juin 2009) nous avons retracé le parcours de Tomita Sensei et tenté de montrer l’originalité de sa démarche et de sa pratique de l’aïkido.
Grand maître à la personnalité très marquée et ayant toujours eu le souci de s’affranchir des instances qui régissent l’aïkido, afin de mieux servir sa vision et sa recherche personnelle, et de proposer « un autre aïkido » ; Tomita Sensei nous a accordé un entretien qui pourra surprendre certains d’entre nous, tant il aborde avec conviction certains sujets, sans détours ni concessions.

Fin juillet 2009 lors d’un stage anniversaire organisé en Suède pour fêter ses 40 ans d’enseignement en Europe, cet ancien élève de O Sensei et uchi deshi de Maître Saïto, a accepté de répondre aux délicates questions sur la pédagogie ou sur le devenir de l’aïkido et a fait un retour sur son parcours et ses choix de carrière qui l’ont amenés à accorder peu d’interviews ses dernières années…

Votre vision de l’aïkido…
La philosophie occupe une part importante dans les arts martiaux. Enseignez-vous cet aspect ? Quelle est votre point de vue sur ce sujet ?

Sur le tatami, mon enseignement consiste principalement à expliquer les principes sous-jacents et les détails de la pratique. J’explique comment mettre en pratique une technique afin d’effectuer des mouvements en 3 dimensions et en spirale et parvenir à la centralisation dans l’action.
La philosophie est le niveau le plus élevé de la pratique, elle n’est que perte de temps pour les débutants !

Pour un débutant en budo, il est plus important de se focaliser sur le côté technique et sur les exercices pour apprendre à utiliser son corps. Il est ainsi possible de trouver les mouvements les plus rationnels afin de savoir le contrôler et l’utiliser de la manière la plus efficiente pour que lors du combat, le succès soit au rendez-vous.

En parlant de philosophie, on peut accéder aux mystères qui auréolent l’histoire du Japon, on attise ainsi les rêves des nouveaux élèves et on peut susciter un intérêt pour l’aïkido.

Si vous pratiquez le budo dans la plus pure tradition martiale et de la manière la plus efficace qui soit, il vous faut commencer par le début, autrement dit, pratiquer les bases et les fondements du budo.

De successeurs en successeurs, au travers du prisme de l’Occident, et au regard de l’évolution de nos cultures, l’aïkido se modifie, son essence se perd peut-être … qu’en pensez-vous ? Qu’en est-il de son avenir ? Que pensez-vous de la direction prise par l’aïkido d’aujourd’hui ?

C’est une question très difficile que vous posez !
Ne prenez pas ma réponse pour de la provocation, mais il faut bien se rendre compte que l’aïkido n’est pas une discipline faite pour la génération actuelle …

Ce n’est plus un sport, ni une culture, ni une méthode pour « rester en bonne santé » … C’est devenu une « espèce de jeu », pour « jouer aux samouraïs » et aux techniques de combats… !

Mais les techniques de combat n’existent malheureusement plus dans le travail que propose la majorité des enseignants actuel ! Elles ont disparues…

Pour comprendre mes propos, il faut en revenir aux origines… On pourrait résumer ainsi la culture des samouraïs : « la culture du samouraï permet au pratiquant de se maintenir en bonne santé ».

Tout le travail et les recherches réalisés par les samouraïs pendant plusieurs décennies en développant des techniques de combat autour de principes comme la centralisation, les mouvements du corps, etc. les ont amenés à réaliser que les meilleures techniques de combat étaient les techniques de défense.

Tout leur travail approfondi sur « comment le cerveau contrôle le corps », « comment le corps contrôle les techniques », sur le développement de « méthodes pour trouver une solution de succès dans le combat » peut être enseigné aujourd’hui, mais trop peu de senseis s’y appliquent, car cela va à l’encontre de la logique « commerciale et marketing » que nous connaissons dans l’aïkido d’aujourd’hui.

Votre vision de la pédagogie
Vous avez mis au point une méthodologie d’apprentissage de l’aïkido pour les Occidentaux. Pour quelles raisons ? Et quels en sont les fondements ?

Je vie en Europe depuis 1969, mon enseignement s’adresse à des personnes très différentes les unes des autres (Suède, France, Italie, Russie, Angleterre) j’ai donc dû étudier plusieurs méthodes d’enseignement, afin d’adapter au mieux ma pédagogie pour eux. Au Japon nous avions des méthodes d’enseignement complètement différentes ; méthodes inapplicables au quotidien ici en Occident.

Il faut adapter notre enseignement de l’aïkido aux Occidentaux afin qu’ils en comprennent la richesse et l’extrême complexité.
Pour cela, j’ai étudié à l’université et par moi-même, la pédagogie, la biomécanique, l’anatomie, physiologie et la physique, cela m’a pris 40 ans … et ce n’est pas assez !
Normalement les gens savent comment faire pour exécuter une technique ; cela ne veut pas dire qu’ils en ont le contrôle. Ni qu’ils savent comment gérer le travail « corps / cerveau ».

Au travers de mon enseignement, je propose à mes élèves des abords très variés pour trouver des solutions aux questions suivantes :
Comment trouver le chemin rationnel du mouvement ?

Comment puis-je faire des mouvements rationnels simples ?
Comment pratiquer mon aïkido sans reproduire de « simples formes », « des mouvements dénués de sens », tout en retrouvant et comprenant les principes de base ?

Je n’ai pas trouvé tout seul toutes les réponses à ces questions. Je me suis appuyé sur de nombreux écrits martiaux et techniques, notamment ceux des samouraïs. J’ai développé ma pratique et j’ai longuement étudié les textes afin d’adapter mon enseignement pour le transmettre au mieux et de proposer une véritable pratique martiale à tous mes élèves.

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