Max Méchard

un vétéran de l’Aïkido – 2 ème partie


Max Méchard pendant notre entrevue, 21 janvier 2016

Que vous dire d’autre ? Mon parcours est un peu celui de tout le monde. Son seul intérêt peut-être est que j’ai connu les débuts de l’établissement des structures en aïkido. À l’époque de la CFA, c’était une simple association.

Pourquoi les Européens ou les gens de l’Est ont un problème pour apprendre l’aïkido ?

Je pense d’abord que les Japonais, par l’intermédiaire d’Osensei, ont choisi leurs destinations. La France a été l’une des premières destinations parce qu’elle représentait un pays de culture, de tradition. Si l’on parle des pays de l’Est, c’était l’époque de la guerre froide. À quel moment maître Tamura ou maître Noro auraient-ils pu aller en Pologne, par exemple, à l’époque de Jaruzelski ? Je me souviens de tous ces experts japonais. Jamais ils ne me disaient qu’ils allaient faire un stage en Pologne ou en Tchécoslovaquie, ou en URSS. À l’époque, nous les suivions partout et je ne suis jamais allé dans un pays de l’Est. Même l’Angleterre est venue à l’aïkido bien après, avec maître Chiba. Mais maître Noro ou maître Tamura, qui étaient en France depuis de longues années, n’allaient pas spécialement en Angleterre. Je pense que les Japonais ont mis des pays un peu à l’écart au début, comme l’Espagne aussi. Mais c’était également le cas d’autres arts martiaux, par exemple le karaté. L’Espagne y est venue tardivement par rapport à la France. Par contre, maître Tada a été nommé très rapidement en Italie et il y est toujours resté. Il m’a été dit que maître Tamura était allé au Vietnam avant de venir en France mais j’en doute. Il ne m’en a jamais rien dit. Je suis moi-même né au Vietnam, c’est pour cela que j’en parle. Vis-à-vis d’un Japonais, ce n’est pas marquer un point de dire que l’on a du sang asiatique. D’autant que pour eux, il y a asiatique et asiatique. Maître Tamura m’avait dit le premier qu’il a eu des problèmes dans sa vie au Japon avec son épouse qui n’était pas 100 % japonaise.

Lui-même non plus.

Moi-même j’avais un quart de sang vietnamien, je suis né là-bas, mais pour lui, cela ne donnait pas un avantage. Par ailleurs, le Japonais est l’impérialiste de l’Asie. L’une de mes tantes et l’un de mes oncles ont été assassinés par les Japonais. Un autre de mes oncles me demandait pourquoi je voulais pratiquer un art martial japonais. Lui-même a fait la guerre contre eux et c’était terrible. À l’époque où les Français étaient au Vietnam, ils ont été envahis un beau matin par une division japonaise qui allait vers la Birmanie et qui, au passage, tirait sur tout ce qui bougeait. Je n’en ai jamais parlé à maître Tamura. J’avais des discussions avec lui mais il n’entrait pas trop dans les détails.
Ils donnaient toujours l’impression d’avoir des craintes. Et pourtant à l’époque nous étions des petits groupes. Ils faisaient à l’époque des stages de clubs, nous étions un petit nombre et nous avions par conséquent beaucoup de possibilités pour parler ensemble, mais nous parlions de futilités. Sur les choses importantes, ils étaient très secrets. Maître Tamura ne parlait pas de ses enfants, il ne parlait pas de sa femme non plus. Nous avons beaucoup plus vu celle-ci lorsqu’il est décédé qu’auparavant.

Par contre, lors des stages d’été, il était toujours avec son épouse.

En effet. C’était aussi le cas dans d’autres lieux. Mais sa femme et ses enfants restaient dans la maison lorsqu’il allait donner son cours. Nous ne les voyions pas, nous ne pouvions même pas parler avec eux. Lorsqu’il venait manger avec nous ou que nous l’invitions au restaurant, il venait toujours seul. Par contre, j’étais toujours très bien reçu lorsque j’allais chez lui, dans sa villa, et son épouse en effet était là.

Après 1982, où avez-vous pratiqué l’aïkido ?

À la FFAAA, par la force des choses. En effet, nous sommes restés à la FFJDA. Il aurait suffi que maître Tamura attende deux ans de plus et il aurait eu tout l’aïkido français, sans avoir besoin de partir et de créer la FFAB. Il aurait suffi qu’il négocie sa sortie avec Pfeiffer, le président du judo. Ils ne l’ont pas fait et c’est pour cela que Guy Bonnefond n’a pas pu suivre non plus. Il était le président à l’époque et il a été désavoué.
Nous avons eu notre indépendance sans la demander. La FFAAA s’est donc constituée. Tissier a pris l’un de ses élèves, Jacques Abel, qui était un normalien ou un énarque, je ne souviens plus, et l’a mis à la tête de la fédération. Il y a eu ensuite un avocat, Maxime Delhomme, avec qui nous avons eu, Paul Muller et moi, de bonnes relations. Nous avons été au Japon, mais financièrement nous avions besoin d’être un peu aidés et c’est ainsi que Maxime Delhomme nous a ouvert la porte, contre l’avis de Tissier. C’était une chose que ne faisait pas la FFAB.

Il faut remercier Maxime Delhomme pour cette ouverture. Pendant 10 ans, nous avons fait venir Nishio et, profitant du voyage que la Fédération payait, les Allemands frontaliers nous demandaient si Maitre Nishio pouvait venir une soirée dans tel ou tel club. Je me rappelle avoir été en Allemagne aussi à cette occasion. Ils avaient connu Nishio, peut-être, en allant au Japon, mais ils n’avaient pas l’argent pour asseoir un stage. Nishio était de l’école ancienne, il voulait un assistant, et son assistant et il fallait donc payer le voyage de deux personnes, ce qui était conséquent.
Pour moi, Nishio était un personnage important, convivial, très humain, mais il y avait la barrière de la langue. Il parlait uniquement le japonais et c’était difficile. Nous l’avions connu par l’un de vos collègues, Stanley Pranin. Nous étions allés voir ce dernier lorsque que nous étions au Japon. Il nous avait donné les adresses de tous les experts, nous a indiqué les chemins à prendre. Lors de ce voyage, en effet, nous ne voulions pas rester figés sur l’Aïkikai. Nous nous étions dit qu’il fallait que nous nous ouvrions à tout ce que nous pouvions voir. C’est ainsi que nous avons pu voir Gozo Shioda, Yoshio Kuroiwa, Sadateru Arikawa. Ce dernier venait à l’Aïkikai, d’ailleurs de même que Matsuda. C’est ainsi que nous avons vu Nishio, dans l’une de ses salles, à Yokohama. Nous avons été très étonnés parce que nous avons vu un gymnase, avec un énorme drapeau japonais. C’était très difficile parce que c’était un peu différent de ce que faisaient les autres, notamment en matière de déplacements, pour lesquels il avait fait une synthèse personnelle. Les déplacements étaient plus des déplacements de kendo et de iaïdo, avec le bol du pied en arrière, en pronation, alors qu’en aïkido on ouvre simplement le pied. C’est difficile, lorsqu’on a une certaine ancienneté dans la pratique. Nous en avions parlé avec Christian Tissier, Paul lui avait demandé s’il adhérait à cela, et il avait répondu que c’était très difficile, que c’était une remise en cause presque totale.

C’était une très belle expérience, que je n’ai pas regrettée.

Jusqu’à quand avez-vous pratiqué l’aïkido ?

Je le pratique encore un peu. Pendant ma carrière dans la police nationale, j’ai eu des mutations sur l’île de La Réunion, en Afrique puis en Guadeloupe et c’est là que j’ai eu mon dernier club, jusqu’en 2002. Après quoi je suis revenu à Paris, et pendant 13 à 14 ans je suis allé chez Michel Bécart. Je ne vis ici que depuis deux ans et je vais très fréquemment à Paris. J’y reste plusieurs semaines et je retourne chez lui. Ici, je n’ai pas encore eu l’opportunité et le temps d’ouvrir un club. L’aïkido n’a pas beaucoup de succès.

Mon aïkido n’a rien de spécial. Lorsque j’étais jeune, j’ai vu l’aïkido comme étant un art martial, puis un basculement s’est produit au fil des années et j’ai senti ce clivage dont je vous ai parlé. Malheureusement, c’est mal perçu aussi par les autres sportifs qui n’ont pas du tout de considération pour l’aïkido, notamment les karatékas.

De la danse avec une jupe noire…

Oui. Je ne suis pas sûr que l’aïkido arrive à perdurer dans les décennies à venir.

Pensez-vous que les armes sont nécessaires dans l’aïkido, puisque vous avez travaillé avec Nishio ?

Oui, et c’est ma démarche pour le rattacher au budo, aux samouraïs, et c’est ce que j’avais compris en lisant les premiers livres d’aïkido. Le hakama, c’est celui des samouraïs et non celui des paysans.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire un cours de iaïdo, il n’y aura personne.

Je ne suis pas Cassandre, je ne sais pas quelle sera l’évolution de l’aïkido dans les prochaines décennies, mais je ne pense pas qu’il parviendra à faire un tour sur lui-même et à devenir ce que nous pensions qu’il était il y a 50 ans. En aïkido, les élèves ne veulent plus souffrir.

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