Masato Matsuura, Paris 2e partie 2008

D’abord, mon centre est au milieu. Mais quand j’effectue la technique, je déplace le poids

Aikidojournal Interview

Quand, et pourquoi, avez-vous commencé à pratiquer les arts martiaux ?

Quand j’étais petit, j’ai fait du kendo et du judo, comme la plupart des enfants au Japon. Ce sont des matières obligatoires au collège. Et puis, j’ai choisi de devenir acteur, d’en faire mon métier. Acteur de nô. On pourrait dire du théâtre nô que c’est la danse des samouraïs. Pendant la période d’Edo, entre le début du dix-septième siècle et la fin du dix-neuvième siècle, les samouraïs devaient obligatoirement apprendre le nô, pour former et éduquer le corps, pour être samouraï et manipuler le sabre.
J’ai habité cinq ans avec mon maître. J’ai été formé comme un animal de cirque. C’était une formation très sévère. Au Japon, dans la formation ou l’éducation traditionnelle, il est normal qu’un maître ne donne pas d’explication. Mon maître était un « trésor national ». On vivait ensemble, et je l’observais : il ne me montrait pas. Je ne comprenais pas comment on pouvait devenir maître. Il avait une présence, mais pas moi. Je ne pouvais pas l’expliquer : on a le même corps, la même structure, mais quelle différence de présence ! On répète, répète, répète…
Après avoir terminé mes études avec mon maître, pour avancer, pour mieux comprendre mon art, comment bouger, danser, j’ai décidé de commencer le sabre. J’avais 26 ans et pendant 5-6 ans je me suis consacré au nô et au sabre. Et puis, pour mieux comprendre le sabre, c’est bien d’apprendre l’aïkido, et j’ai donc commencé à pratiquer cet art. Mais pour dire vrai ce n’était pas l’aïkido d’Ueshiba Sensei. J’ai choisi une école de Daïto Ryu Aïkijiujitsu. Mon maître s’appelle Yoshimaru Keisetsu; il a écrit des livres, dont « Aikido no kagaku » (la science de l’aïkido) et « Aikido no okuri » (l’essence de l’aïkido). C’est un maître du Daïto Ryu, et il fait aussi du taï-chi-chuan. Il y a beaucoup de maîtres qui pratiquent l’aïki avec des arts martiaux chinois. C’est très proche. Par exemple le taï-chi-chuan et l’aïkido. Yoshimaru Sensei a été pendant 15 ans disciple de Sagawa Yukiyoshi Sensei, un des grands maîtres du Daïto Ryu. Il ne comprenait pas du tout ce qu’était l’aïki de son maître. Après quinze d’ans d’expérience, il a pratiqué le taï-chi-chuan avec un maître chinois, et c’est ainsi qu’il a compris l’aïki et a inventé sa méthode. C’est ce que j’ai appris.

Sa méthode m’a donné des éléments pour comprendre le nô, la danse du nô – et le sabre aussi. J’ai compris quelque chose d’essentiel pour développer mon travail de nô.

Une autre explication : pendant la période d’Edo, le sabre était obligatoire pour les samouraïs. Mais l’enseignement de l’aïkijiujitsu était limité aux enfants de samouraïs de haute classe. Les enfants de samouraïs de basse classe n’avaient pas le droit d’apprendre le jiujitsu. Donc pour atteindre un très haut niveau de sabre, le jiujitsu est, à mon avis, obligatoire.

En êtes-vous resté au Daïto Ryu ou avez-vous aussi pratiqué l’aïkido ?

Mon maître, Yoshimaru Sensei, a inventé sa méthode. Ce que j’enseigne est basé sur la technique du Daïto Ryu, mais maintenant j’enseigne aussi la méthode du chi-gong, la marche nô aussi et le maniement de deux sabres. Traditionnellement, dans le Daïto Ryu, on apprend à manier deux sabres. Et donc j’ai donné mon propre nom à mon école, mais bien sûr cela vient du Daïto Ryu. Mais maintenant c’est mon école, ma méthode.
Pourquoi avez-vous arrêté le nô ?

Mais je n’ai pas arrêté, je continue. C’est ma destinée. Mais [au Japon] le monde du nô est très fermé, on ne peut pas rechercher d’autres études, faire d’autres expériences. Pour moi ce n’était pas très agréable de rester là. Je voulais aussi travailler avec des comédiens de théâtre moderne. C’est pourquoi j’ai choisi d’être ici.

Depuis combien de temps êtes-vous en France ?

J’habite en France depuis 2006, cela fait presque trois ans.

Et vous êtes content ?

Oui, oui, oui, oui.

Mais cela doit être difficile de commencer une nouvelle école ?
Oui… mais ça commence à marcher, petit à petit. Ce que je fais, c’est quelque chose de nouveau, d’expérimental. Et c’est plus facile pour moi de le faire dans un pays étranger qu’au Japon parce que je peux être libre des traditions. Paris est une grande ville, une ville de culture, il y a un grand brassage de cultures.
Il y a deux ans j’ai pris en main deux bokken du Niten Ryu, des bokken très fins et très légers et j’ai eu une drôle d’impression : je remarquais immédiatement quand mon mouvement n’était pas juste, quand j’étais tendu… je le remarquais plus tôt qu’avec un bokken plus lourd, style Iwama par exemple.

C’est ça ! Au début du dix-septième siècle, il y avait, outre Miyamoto Musashi, beaucoup de maîtres qui ont fondé des écoles de sabre et utilisaient des bokken très fins. Par exemple, Tsukahara Bokuden (1489 - 1571) [le fondateur du Kashima Shinto-Ryu, ndlr]: j’ai vu le véritable bokken qu’il avait utilisé, il était très fin. C’est difficile à comprendre aujourd’hui, mais si on travaille avec un sabre très lourd, naturellement on doit utiliser ses muscles. A mon avis, avec un bokken fin on peut cultiver l’unité du corps, le relâchement… on doit manipuler le sabre avec son centre, c’est pourquoi il faut cultiver l’unité du corps : de la pointe des pieds jusqu’au bout de la main.
Naturellement, le sabre fonctionne comme une méthode de yoga, pour cultiver le cœur, le corps, le relâchement. On peut cultiver cela par l’intermédiaire du sabre. On peut joindre le cœur et le corps.
A mon avis le sabre, et l’aïki aussi, c’est très proche du yoga. Cela vient de l’Inde : la route de la soie aboutit au Japon. Je crois que le sabre et le nô ont été influencés par la philosophie de l’Inde. Je voudrais ajouter que yoga veut dire le lien entre le bœuf et le chariot. C’est quelque chose qui unit. C’est très proche du sens d’aïki comme méthode de nouer le cœur et le corps, soi-même et le partenaire, soi-même et l’univers. Soi-même avec le sabre. C’est l’instrument qui noue chaque chose.

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